By Pass : Jeu, set et match

Après deux rencontres à domiciles, les MCs angevins du collectif rap transatlantique By Pass sont allés retrouver leurs collègues américains à Austin pour une série de concerts. Entretien avec Guitz (Nouvel R) et Cerbère (Cerbère et Makawa), à peine remis du décollage horaire et du choc alimentaire…

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Vous revenez d’une tournée au Texas pour présenter le projet By Pass, que vous avez constitué avec des rappeurs d’Austin. Vous y avez passé combien de temps exactement ?

Guitz : On est partis du 24 avril au 15 Mai, soit environ trois semaines sur place. A peu près l’équivalent de la deuxième rencontre qu’on avait faite avec nos collègues américains en France.

Cerbère : En revanche, on ne partait pas du même point, vu qu’on avait déjà construit lors de nos deux précédentes rencontres la majeure partie des morceaux qu’on devait jouer pour les concerts. Là, on devait surtout consolider le travail déjà commencé, pour bien avoir les morceaux dans les jambes sur scène.

Comment se sont passées les retrouvailles avec les membres de Mindz of Different Kind ?

Guitz : On était tous contents de se retrouver. Mais le fait de changer de pays, et que ça soit à notre tour d’être à l’étranger, a pas mal modifié nos façons de faire. On a dû assez rapidement s’adapter à la façon de faire locale. Pour la simple et bonne raison qu’ils étaient beaucoup moins disponibles. Pour venir en France, ils avaient dû poser la majeure partie de leurs congés. Là, ils ont tous un ou deux boulots à assurer, en plus de la musique. C’était donc difficile de libérer beaucoup de créneaux pour les répétitions. On a donc dû se forcer à moins intellectualiser, conceptualiser les choses, moins les préparer dans les détails, mais y aller avec les tripes, un peu en freestyle. Comme eux le font partout où ils le peuvent depuis dix ans. Ca veut dire qu’on s’est retrouvés à jouer dans des endroits absolument improbables, d’une cantine avec 600 lycéens au hangar archi-underground, en passant par un kebab/salle de concert ou une fête sur un bateau, et qu’un show à tel endroit pouvait tout à fait déboucher sur un autre show pas du tout prévu deux jours plus tard à un autre endroit. Bon, on a quand même réussi à enregistrer 5 titres, donc deux composés sur place, et à tourner un clip. Donc on n’a pas chômé non plus ! (rires)

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Du coup, ça voulait dire des conditions techniques assez rudimentaires pour les concerts, j’imagine ?

Cerbère : On a quand même joué dans une salle qui s’appelle l’Empire, qui ressemblait assez à ce qu’on connaît chez nous, avec un accueil technique digne de ce nom, du matériel, etc. Mais c’est vrai que dans l’ensemble on a pu faire l’expérience des conditions de travail des groupes américains. Et ça veut dire que tu peux tomber sur le meilleur comme sur le pire. Parfois, on est arrivés dans des endroits avec moitié moins de pistes sur la console de mixage qu’on était de MCs. Ca voulait dire qu’on devait se passer les micros quand c’était à notre tour de rapper. Ca pouvait vite devenir le bordel, mais on s’est fait plaisir quand même !

Guitz : On a aussi pu vérifier à quel point la concurrence est rude sur Austin. On nous avait prévenus qu’il y avait une quantité de concerts impressionnante chaque jour, et ce n’était pas exagéré. On peut entendre de la musique live absolument partout, tout le temps, jusque dans les supermarchés. Du coup, ça devient compliqué de remplir une salle, tellement l’offre est plus importante encore que la demande. Et le public devient un peu « consommateur ». On a pu constater par exemple que c’était un peu plus dur qu’en France pour les embarquer avec nous, mais du coup ça nous boostait encore plus et la plupart des shows se sont super bien finis, avec un public bien impliqué. On a pu vérifier que le côté visuel, avec plein de MCs sur scène, ça crée une vraie synérgie palpable, qui fonctionne des deux côtés de l’Atlantique.

Vous avez eu quelques ateliers pédagogiques également ?

Cerbère : Là-bas, on a senti que ce n’était pas trop dans leur habitude d’avoir une personne extérieure à l’école qui viendrait pour faire travailler les enfants, ou autre, comme on le fait beaucoup chez nous avec l’asso L’R de Rien. Là-bas, on a surtout fait des rencontres en tant qu’artistes, où les gamins peuvent te poser tout un tas de questions sur ton travail…

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Culturellement, ça a dû vous faire un choc d’aller rapper dans le pays qui a inventé ce genre musical ?

Cerbère : C’est clair ! C’était la première fois sur le sol américain pour la plupart d’entre nous, à part Guitz qui avait fait un road-trip là-bas il y a un ou deux ans. Et on a tout de suite senti que le rap fait partie de leur culture. Il a tellement de gens qui ont grandi avec cette musique depuis toujours. On a croisé des gens capables de rapper un peu partout, dans chaque fête, chaque bouffe. On a même assisté à un rap d’anthologie entre deux gamins de 6 ans dans une bagnole ! (rires) Après, ça n’en fait pas forcément des rappeurs avec un gros niveau technique pour autant, mais c’est très naturel chez eux. Un peu comme chez nous beaucoup de gens savent un minimum jouer au foot, sans devenir un pro pour autant. Moi, je leur expliquais qu’en France, quand tu veux faire du rap, tu dois cravacher deux fois plus que la moyenne si tu veux qu’on te prenne au sérieux. Parce qu’il y a encore tellement de clichés sur cette musique que si tu donnes raison à un de ces clichés une malheureuse fois, tu es définitivement grillé auprès des pros. Du coup, on est assez contents de nous, parce qu’on a eu pas mal de compliments et de remarques sur nos flows, sur ce qu’on dégageait sur scène… Ca fait plaisir !

Guitz : On pouvait presque tous les soirs aller sur un open mic. On a rencontré des tas de gens qui rappaient, des DJs, des beatmakers, des beatboxers. On a posé des couplets sur des instrus en préparant des kilos de fajitas ! (rires) Chaque soirée nous donnait un plan pour le lendemain… On était le premier groupe de rap français qu’ils entendaient. Du coup, c’était drôle de voir leur œil qui s’éclairait quand ils nous entendaient soudainement rapper en français.

Au départ, le projet espérait se jouer en trois sets: deux à Angers, et un troisième à Austin. Le match est donc plié. Vous avez pensé à un match retour ?

Guitz : Je t’avoue qu’on n’a pas encore trop eu le temps d’y réfléchir. On est déjà super heureux d’avoir mené ce projet à bout. On va déjà finaliser tout ce qui a été commencé, comme le clip qu’on a tourné là-bas, les nouveaux morceaux… Maintenant, de là à savoir la forme que ça prendra, il est encore trop tôt pour le dire. Peut-être aussi que cette expérience aura donné envie à d’autre gens de prendre le relais ? ByPass, c’est un collectif, c’est par définition ouvert et amené à évoluer.