JOH BERRY : JOHNNY BE MOOD

Crédit: Benjamin Asseraf

À voir sa longue silhouette, ses cheveux longs et ses larges lunettes de soleil, on imaginerait plus facilement Joh Berry chanteur dans un groupe de garage/punk façon The Ramones. Pourtant le trentenaire fait du rap, et il vient même de sortir un très bon deuxième album, « Mood », qui le propulse immédiatement aux côtés d’Odor et Stav (ex-Rezinsky) parmi les patrons de la scène angevine. Rencontre.

Tu es arrivé à Angers il y a peu. Peux-tu te présenter rapidement ?

Bien sûr, on m’appelle Joh Berry. A la base, je suis Parisien. J’ai grandi là-bas. Ma famille a emménagé à Ingrandes sur Loire il y a une dizaine d’années. Et j’ai débarqué à Angers il y a environ un an. J’ai sorti un premier album il y a deux ans qui s’appelait « Lunettes Noires Pour Nuits Blanches », enregistré à Ingrandes donc. C’était un projet beaucoup plus axé sur du rap classique avec de grosses influences jazz et soul. Beaucoup moins moderne que le mini-album « Mood » qui vient de sortir.

Ça explique alors sans doute pourquoi je trouve « Mood » justement à la bonne distance entre la trap d’aujourd’hui et le hip hop des années 90/00 ?

Ça s’est fait assez naturellement. J’ai beaucoup saigné tous les vieux groupes de rap comme IAM, NTM & co. C’est ma culture. Après, c’est surtout une question de BPM (Beats Par Minute, NdR). La trap, ça se joue entre 120 et 140. Dès que tu descends sous 120 BPM, tu te retrouves assez naturellement à poser un flow plus classique, où tu peux débiter plus de choses. Donc l’équilibre s’est fait sans trop y penser.

Mais tu as cherché délibérément à avoir quelque chose de plus moderne avec « Mood » ?

En fait, quand je bossais sur mon premier album, la scène rap était déjà bien en train de changer. Dans le public on voyait déjà pas mal de gros pogos. Ça m’a tout de suite fait kiffer. J’ai eu envie de provoquer ce genre de réactions chez les gens avec ma musique. Ça a un effet presque orgasmique de sentir que tu donnes ça aux autres. Et moi, je n’ai jamais été le gars renfermé sur ma musique, à ne pas vouloir que ça change. Donc la trap j’ai tout de suite kiffé. J’ai tout de suite senti que ça allait apporter du sang frais à la musique. En termes de mélodie, de rythmique, de sons de drum…

Tu fais donc également tes instrumentaux ? Tu as une formation musicale ou tu es autodidacte ?

Je suis entièrement autodidacte. Je maquette seul mes morceaux chez moi, avec un clavier et des logiciels de composition. Quand je suis satisfait de la maquette, je la refile à mon pote Scaro qui réarrange le morceau en lui donnant des nouvelles basses, des nouveaux sons de drum, et ensuite ça part chez Kad’Krizz à Saumur (Sixième Sens) qui masterise le tout et fait en sorte que le son tabasse ! Donc on travaille un peu en trio, avec des superpositions de couches. On s’entend parfaitement, donc les choses s’articulent très bien entre nous.

Tu disais que ton premier disque avait de grosses influences soul et jazz. Mais on en entend aussi sur « Mood » ?

Oui, on ne peut pas renier ses origines. Ce sont des musiques que j’écoute toujours beaucoup. Donc on en retrouve forcément dans ce que je fais, même si cette fois-ci le traitement du son leur donne un côté plus synthétique. Il y a pourtant de vrais instrumentistes invités sur le disque : le saxophoniste Clément Desbordes (du groupe tourangeau Vssvd) et le guitariste Etienne Besnier qui jouent sur quelques morceaux. A part eux et la jeune chanteuse Nani sur un titre, il n’y a pas d’invités. En tout cas pas d’autres rappeurs. Je voulais que ce disque puisse servir à faire les présentations avec les gens, me servir un peu de carte de visite pour montrer ce que je pouvais faire.

J’ai l’impression que c’est important pour toi de travailler différentes choses avec ton flow ?

Oui, c’est quelque chose que je travaille même de plus en plus. Je pense que pour « Mood 2 », pour lequel je viens de commencer à composer, je vais aller encore plus loin dans ce sens. J’aime bien essayer de jouer avec les temps, ne pas atterrir forcément là où les gens m’attendent, un peu comme le fait super bien Snoop Dogg, dont on a toujours l’impression qu’il est à côté du beat alors que tout est précisément calculé.

Ce « Mood » est assez mélancolique, non ? Jusque dans sa très belle pochette aux couleurs bleu nuit…

La pochette a été réalisée par mon oncle Benjamin Asseraf. Quand il a écouté les morceaux, il m’a tout de suite dit que ça lui évoquait une virée nocturne un peu déprimée dans une grande ville. J’avais pourtant l’intention de faire un truc un peu plus positif que ça à la base. (rires) Mais j’ai vécu notamment une séparation qui m’a pas mal remué et ça a forcément dû transpirer dans ma musique. J’en ai pas eu nécessairement conscience quand je composais. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui je sens bien que même les morceaux un peu plus bangers sont très sombres. Ça devrait être différent pour « Mood 2 ». Je veux apporter plus de couleurs. Ça va mieux dans ma vie maintenant, donc j’ai envie de nouvelles choses aussi, même si j’ai de toute façon toujours été quelqu’un d’assez mélancolique.

Il y a aussi pas mal de références éloignées des codes habituels du rap. Je pense par exemple au morceau « Kurt » qui fait référence au chanteur de Nirvana.

A la base, j’ai deux parents qui sont férus de musique. Il y a toujours eu beaucoup de disques à la maison, et j’ai grandi en écoutant des choses très variées, de Brel aux Rolling Stones, de Gainsbourg à Cesaria Evora. C’est quelque chose que j’ai gardé en grandissant. Tout ça fait donc partie de mon histoire. Aujourd’hui, j’écoute encore beaucoup plus souvent tous ces trucs que du hip hop par exemple. Et j’adore Kurt Cobain. J’ai lu beaucoup de ses interviews et on voit bien que c’était un gros bordel dans sa tête, et parfois j’ai l’impression de me retrouver dans ce chaos. En fait, c’est un peu mon grand regret de gosse : j’aurais adoré être un chanteur de rock. Déjà j’ai la dégaine, avec les cheveux longs, tout ça. Sur scène, je joue beaucoup avec des postures, une énergie très rock. On m’a d’ailleurs déjà dit que je dégageais quelque chose d’androgyne sur scène, à l’image de Mick Jagger ou David Bowie. Je le prends comme un super compliment. Je veux bien être le rockeur du rap, sans problème ! (rires)