Abysse : Loups de Mer

Crédit: Franck Potvin

Crédit: Franck Potvin

Tel un monstre marin qui se fait oublier, tapi dans les tréfonds de l’océan, Abysse resurgit soudainement quand vous vous y attendez le moins. Quatre ans après un premier album qui nous avait déjà mis sur le cul, les quatre Choletais reviennent donc enfin avec un « I Am The Wolf » encore plus massif, encore plus puissant. Le Yéty a posé quelques questions à Jérémy (basse) et Geoffroy (guitare) avant que leur déferlante post-metal ne balaie tout sur son passage.

Votre premier album date d’il y a quatre ans. La démo précédente de sept ans. Vous prenez votre temps volontairement ou bien vous subissez ce timing élastique ?

Un peu les deux. Nos emplois du temps respectifs nous obligent à répéter et à faire des concerts moins souvent, sachant qu’on s’est éparpillés entre le Maine et Loire et Paris, donc on se voit qu’une fois par mois. Si tu rajoutes le fait que nous aimons aussi prendre notre temps pour composer, travailler chaque détail pour être 100% satisfaits, et bien le processus de composition est très long.

Dans une époque où tout va très vite, est-ce difficile de continuer d’exister auprès du public et des pros avec ces sorties très espacées ?

Avec cette époque où des milliers d’excellents groupes sortent des albums quotidiennement, soit tu fais en sorte d’avoir une activité continue pour exister auprès du public, soit tu prends ton temps, mais quand tu reviens, tu ne fais pas semblant et tu es à 200 % dans la sortie de ton album. C’est notre cas et notre façon de faire. Mais c’est vrai que c’est très compliqué de ne pas se faire oublier.

J’ai l’impression que ce nouveau disque est plus brutal que le précédent, moins progressif et plus post-hardcore ? Il n’y a d’ailleurs qu’un seul long titre.

Nous n’imposons aucune restriction au groupe pour les sonorités et les longueurs des morceaux. Tout se fait très naturellement. C’est toujours surprenant de voir comment les gens le perçoivent. De notre côté, on trouve cet album plus massif, plus sombre. Il y a eu un changement d’accordage entre le premier et le deuxième album, c’est plus grave, donc plus gras !

Vos riffs de guitares sont ultra-efficaces, vraiment catchy. Comment composez-vous les morceaux généralement ?

Merci ! L’absence du chant nous oblige à travailler minutieusement chaque mélodie pour capter l’auditeur sur parfois presque dix minutes sans temps morts. Très souvent, les premières idées naissent d’une improvisation quand on se retrouve. Après cela, on travaille autour jusqu’à ce que l’ensemble du morceau nous satisfasse complètement. Peu importe qu’il fasse 2mn ou 20mn. On laisse venir les idées naturellement et on fait le tri. Disons que 80% de nos titres sont composés en répétition, le reste se fait en studio qui est aussi un excellent espace de création, car nous avons accès à beaucoup d’effets, de sonorités différentes..

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D’ailleurs, vos disques précédents étaient enregistrés au Dome Studio des frères Potvin (Lyzanxia, One-Way Mirror). Qu’en est-il pour celui-ci? Dès votre première démo, vous êtes arrivés avec un son ultra-puissant. Vous avez une idée assez précise de ce que vous voulez ou bien vous vous en remettez à la personne derrière les manettes?

On aime travailler en famille, se retrouver avec des gens de confiance, donc depuis 2008 (date à laquelle on a enregistré notre premier EP « Le vide est forme ») on va au Dome Studio à Avrillé. David Potvin est maintenant comme notre grand frère et il s’investit à 200 % dans le projet, il a de bonnes idées pour la production du disque. Le plus important, c’est qu’il sait ce que l’on veut, il sait comment on veut que ça sonne. On peut le considérer comme un membre du groupe car il nous apporte énormément.

Est-ce qu’il vous arrive encore d’entendre des trucs du genre « Ouais, c’est pas mal, mais vous devriez avoir un chanteur… » ? Je trouve justement que le chant est souvent le point faible des groupes de metal. Et on oublie assez vite que votre musique n’est qu’instrumentale…

On a eu ce genre de commentaires dès nos débuts. Mais on en avait beaucoup moins que les commentaires qui disaient « l’absence de chant ne se fait pas sentir ». Cela nous a donc encouragés pour continuer dans cette direction. Plus le temps passe, et de moins en moins de personnes nous parlent de cet éventuel manque de chant. L’absence de chant est même maintenant une sorte de signature. C’est aussi grâce à ce « point faible » comme tu dis que les gens qui n’apprécient pas le métal parviennent tout de même à apprécier notre musique. L’instrumental est devenu un atout. Et des groupes comme Russian Circles ou Karma To Burn ont largement contribué à rendre ce style plutôt populaire et plus courant.

Oui, j’ai l’impression que votre musique peut séduire des gens habituellement assez réfractaires au metal. Quelle a été la réaction qui vous a le plus surpris venant de personnes du public?

« C’est mon mari qui m’a emmenée, mais je n’écoute que de la musique d’opéra… J’ai pourtant bien accroché à votre concert ». C’était en 2008, je crois, alors on s’est dit qu’on avait choisi le bon chemin
. (rires)

D’où vient ce titre d’album, « I Am The Wolf » ?

C’est un personnage dans le jeu vidéo « Max Payne 1 » qui fait un monologue assez étrange, très rythmé. Il crie « I AM THE WOLF » plusieurs fois, et ça a tout déclenché dans le processus de « conceptualisation » de l’album. Comme c’est de l’instrumental, on fait ce qu’on veut, on illustre les choses comme bon nous semble, et dans ce cas, il n’y a aucun sens caché, pas de messages, rien ! Comme on le dit dans notre biographie, « il est laissé au soin de l’auditeur de découvrir tout le concept de l’album et d’en faire sa propre interprétation». On aurait pu écrire « Démerde-toi pour créer un contexte visuel et narratif, on a eu la flemme de faire un truc hyper précis »… (rires)

Si vous deviez citer trois disques qui ont été importants dans l’élaboration de l’identité musicale d’Abysse, quels seraient-ils ?

Entombed (« Uprising ») pour le côté rentre dedans et sans concession. Opeth (« Ghost Reveries ») pour l’alchimie parfaite de plusieurs genres, plusieurs ambiances. Et Porcupine Tree (« Fear of a blank planet ») pour le travail des arrangements où rien n’est laissé au hasard. Mais on pourrait aussi citer Mastodon, Gojira..


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Et trois disques que vos fans seraient surpris de trouver chez vous?



On écoute un peu de tout, donc beaucoup de Hip Hop, des BO de film, du grindcore… Dans tous les styles il y a du bon à prendre. Donc pour répondre à ta question précisément : Dope D.O.D. « Branded
 », la BO de « Django Unchained » et Pig Destroyer « Book Burner ».

CHRONIQUE:

Abysse---I-am-the-wolf

Abysse – I Am The Wolf (Blue Wave Production)

Finalement, les Choletais d’Abysse font bien de prendre leur temps entre chaque disque (le précédent était sorti en 2012). Comme ça, on finit par les oublier peu à peu, la vie reprend son cours, puis quand on doit les réécouter: BAAAAAAM! Claque dans la gueule. Ça marche à chaque fois (3 disques = 3 mandales). Même si le metal n’est pas votre tasse de thé. Peut-être même surtout si le metal n’est pas votre tasse de thé. Parce que le quatuor cultive depuis toujours sa singularité dans ce milieu (ils n’ont pas de chanteur par exemple), trouvant son équilibre entre power-trash metal à l’ancienne et post-un-peu-tout-ce-que-vous-voulez (hardcore, doom, prog, expé…). Les morceaux sont donc super efficaces (ces riffs de guitares, putain!) et très ambitieux (compos bien écrites, arrangements au cordeau…). Pour ce deuxième LP, le groupe a un peu abandonné les longs morceaux progressifs qui faisaient sa marque de fabrique, mais a tout de même réussi la prouesse de conserver des ambiances extrêmement fouillées dans des formats plus ramassés. On pourrait citer les sept titres de cet album comme étant nos préférés, mais on vous conseillera simplement d’écouter les 46 premières secondes de «Persuasion», le titre d’ouverture, jusqu’à sa première déflagration sonore. Si vous n’avez pas ressenti comme un petit orgasme mental quand ça vous explose au nez, nous ne pouvons plus rien pour vous.

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